Catégories
blog

Faire d’un roman, grâce aux licences libres, un travail que tout le monde peut reprendre, modifier, améliorer.

BLOG

Faire d’un roman, grâce aux licences libres, un travail que tout le monde peut reprendre, modifier, améliorer.

couverture du roman "Trois écoles"

D’un point de vue créatif, je me suis longtemps dit que la saga est un genre littéraire qui se prêterait particulièrement bien aux modalités permissives des licences libres, avec ses développements d’arcs, de personnages, et d’univers.

Il suffit de voir la demande de jeux de rôle basés sur des franchises, ou l’impact qu’ont les fan fictions sur l’aura de certaines œuvres, pour imaginer l’avantage créatif et collectif de sortir les romans riches en intrigues du régime stricte de la propriété intellectuelle. Plus qu’une simple recherche de publicité par bouche à oreille autour des œuvres, ce serait l’occasion d’accepter une vision un peu plus réaliste de la façon dont nos cultures se nourrissent. D’admettre qu’il y a des effets inévitables autour de toute œuvre qui se propage. Et non seulement ces effets ne peuvent pas être contenus dans les termes juridiques restrictifs du copyright (qu’on a la mauvaise idée d’appeler « droit d’auteur » en France), mais surtout, loin d’être une forme de déviance, cette propagation est tout fait souhaitable, et devrait même être encouragée.

L’envie de commencer une saga

En 2018, j’ai commencé à rassembler les notes que je prenais depuis un moment, et je me suis mis à écrire le premier chapitre d’un roman-feuilleton dans lequel j’espérais développer trois arcs principaux. La grande histoire d’un groupe révolutionnaire qui compte sur l’hypnose et le détournement de certaines neurosciences pour renverser le capitalisme, dans un futur pas très éloigné (fin 2030). Je n’avais encore jamais écrit de roman, seulement des formes courtes et des nouvelles, plus ou moins réussies. Le synopsis de mon nouveau projet était encore vague, mais l’idée me permettait d’amorcer le début d’une saga sous licence libre, que d’autres après moi pourraient toujours améliorer, modifier… ou continuer, si je n’étais pas capable d’arriver au bout.

Aujourd’hui, après avoir beaucoup retravaillé mon synopsis (et jeté des chapitres et des personnages pour resserrer le récit sur ce qui est vraiment intéressant), je termine enfin la première partie en six chapitres et 73 000 mots d’une saga qui se met en place plus lentement que je l’avais prévu. Après bien des relectures, béta lectures, et corrections, le résultat a encore des petits défauts mais je crois qu’il a enfin atteint une qualité relativement correcte, en tout cas assez pour être présenté.

Au fil des années, d’une idée de départ un peu bateau de roman d’anticipation, j’ai progressé pour parvenir à étoffer un contexte plus riche et complexe, dans lequel se mélangent des éléments des genres de l’enquête (détective, espionnage), de la science-fiction spéculative (crédible, mais pseudo-réaliste), et de pas mal de psychologie et d’introspection de la part des personnages principales/aux. Un récit dans lequel on parle principalement, et sans retenue, de renverser le capitalisme français particulièrement centralisé.

Dans ce registre, je n’avais aucune envie de faire une énième dystopie où la résistance se justifie simplement à cause d’une très méchante dictature. Mon envie était plutôt de remettre au centre des aspirations des protagonistes une critique de la propriété privée, comme dans toutes les périodes révolutionnaires anticapitalistes. Des périodes riches en intrigues, en contradictions, et surtout en possibilités de changement social. Une des choses que je voulais d’ailleurs éviter dans ce roman était de recourir, comme dans le polar, au point de vue placé du côté de l’autorité ou des institutions qui nous oblige habituellement à suivre le parcours de militaires, de policier⋅es, ou de magistrat⋅es. Le moyen d’y parvenir était de créer un univers d’anticipation dans lequel il serait devenu possible à tout le monde de contribuer à une forme d’espionnage populaire contre les riches et les dirigeants, de façon ponctuelle et anonyme. J’ai appelé ça contre-surveillance, ou péonnage, et j’en ai fait la toile de fond sur laquelle se développe l’histoire d’un groupe révolutionnaire aux moyens et aux objectifs plus conséquents. Ainsi, au lieu de suivre les aventures de flics ou de journalistes cherchant à résoudre des affaires criminelles, on vivra au fil des chapitres la progression, les doutes et les enquêtes de quelques personnages d’horizons différents qui ont décidé d’aller plus loin dans un engagement révolutionnaire.

Le synopsis ci-dessous vous donnera une idée plus précise de l’intrigue :

Résumé de 4e de couverture (cliquer pour déplier)

 Au milieu des années 2030 en France, la surveillance commence à se retourner contre les très riches et les gouvernants. Des chaînes de volontaires de plus en plus efficaces se fédèrent chaque jour de façon anonyme pour espionner grands patrons et cabinets de consultants. Parmi tous ces noyaux de contre-surveillance quotidienne, un petit groupe mieux organisé garde encore le secret. Depuis plus de dix ans, sa logistique clandestine se perpétue en vue d’attaquer un jour, pour de bon, les nœuds du pouvoir.

À une époque de changements technologiques profonds où les neurosciences commerciales ont fait un bond, c’est une hypothèse à la pointe de la recherche scientifique qui pourrait fournir le moyen d’action le plus efficace, et le plus rapide. L’une des membres du groupe, autodidacte en psychologie et sciences cognitives, y croit dur comme fer.

Mais le temps presse, et les pièces les plus importantes ne sont pas encore en place à l’approche du déclenchement révolutionnaire prévu par le groupe sans nom. Il faut réussir à négocier la sortie de laboratoire d’un outil à technologie neurale, par le réseau d’un trafiquant, et opérer un regroupement géographique avec une ancienne formation de combattantes dispersées à travers l’Europe.
Autour de cette nébuleuse clandestine, des obstacles qu’elle rencontre et de ses contradictions, plusieurs voix, plusieurs parcours naissent ou s’abîment dans l’espoir d’une révolution prochaine. 

Comme je l’ai déjà dit ce travail est encore imparfait, il y a probablement des faiblesses, des enjeux ou des personnages moins bien traité⋅es que d’autres (… et des fautes d’orthographe). Il manque encore une correction finale avec un travail éditorial, mais je suis content d’avoir réussi à poser les bases d’un univers et de personnages qui trouveront peut-être un jour une résonance créative, même minuscule, dans l’imaginaire d’autres personnes. Et pour m’assurer que cela soit possible, j’ai opté pour les licences libres. Même si ce choix me barre la route des maisons d’édition au modèle traditionnel (cession exclusive des droits d’auteur).

Avantages d’un cadre narratif ouvert

Pour avoir déjà eu cette discussion plus d’une fois, je sais ce qu’on va me rétorquer : la création, l’écriture, ce n’est pas le même savoir-faire que les logiciels libres.

Effectivement, pour faire un bon roman, une bonne histoire, il ne suffit pas d’assembler des éléments disparates. Il faut des tensions, des résolutions, des personnages bien travaillé⋅es, un style… Les licences libres ne fournissent pas de façon magique cet équilibre, évidemment. Par contre elles sont une condition importante qui garantie à un travail de plusieurs années de rester une source potentielle d’inspiration. Dans le cas du roman que je présente ici, même si le résultat global ne satisfaisait pas aux critères de qualité pour être jugé publiable, toutes les petites trouvailles que j’y ai mises resteront au moins, dans le contexte légal des licences libres, ouvertes à amélioration et à une libre circulation des idées. Et ça, c’est déjà très satisfaisant pour moi.

Bien sûr, comme tout⋅e auteur⋅ice, je rêve que mon histoire résonne plus largement que par ses détails. Que la trame narrative et les personnages soit assez efficaces pour faire de cette œuvre de fiction, dont on peut reprendre toutes les idées, un vrai cadre de création ouvert. Un cadre où réaliser une adaptation est tout à fait légal et ne nécessite pas d’autorisation préalable, où les modifications, légères comme conséquentes, sont encouragées. Si certain⋅es personnages ou idées vous intéressent séparément, libre à vous de leur réinventer une vie, ou de ne garder qu’une partie de l’histoire.

Avec les licences libres, les auteur⋅ices vous confèrent d'emblée ce droit à dévier du canon ou à le compléter, ainsi qu’à redistribuer le résultat – à condition de ne pas avoir choisi de clause restrictive Non Dérivé ou Non Commercial (NC fait débat depuis longtemps car elle complique par exemple la distribution gratuite dans une enceinte avec prix d’entrée comme un musée ou un festival, et interdit la distribution à prix libre ou prix coûtant). Il devient aussi possible de transformer l’œuvre de départ pour l’amener vers d’autres supports : court-métrage, spectacle, mise en scène audio, tout ça sans avoir à négocier des droits avec un⋅e propriétaire (qui est bien souvent la maison d’édition, et non l’auteur⋅ice !).

Cette liberté de reprendre et modifier est particulièrement intéressante pour une œuvre écrite qui développe des arcs et des sous-intrigues, car sa richesse ne tient plus seulement à ce qu’elle fige dans le récit mais à ce qu’elle pourrait vous inspirer, à la lecture. D’autant plus qu’à la différence de l’audiovisuel, modifier ou compléter une œuvre littéraire ne demande pas de grands moyens de production, la matière première étant le langage… et l’imagination.

Originalité et propagation

Faire ce choix du libre, qui va à l’encontre des habitudes du monde littéraire, était d’abord un soucis de cohérence et de pragmatisme pour moi. Un constat simple : les œuvres de l’esprit se prêtent naturellement à la circulation, et cette circulation implique une part de transformation. S’opposer à ce mouvement est une cause absurde (ou désespérée). Je ne suis pas le premier à le faire remarquer, et je suis sûr que le débat ne cessera de refaire surface. Les processus de la création reposent largement sur des schémas déjà établis par d’autres avant nous. Dans la musique, dans la narration écrite ou dans les shonen, il y a une grande part de réutilisation / altération nécessaire pour pouvoir créer de l’originalité. Que ce soit par des grilles harmoniques rappelant immédiatement une filiation avec un genre musical, ou par la récurrence de tropes propres à un type de récit, tout peut avoir tendance à se ressembler dans nos cultures lorsqu’on prend suffisamment de recul pour en considérer les contours et les formes générales.

Dans les tribunaux, les principes cognitifs qui façonnent nos imaginaires populaires entrent d’ailleurs régulièrement en collision avec l’application du régime copyright/droit d’auteur, dans ce qu’on appelle copyright madness. Pour sortir de cette impasse, le premier pas consiste à accepter d’entendre l’argument suivant, reformulé encore l’année dernière par le dessinateur du comic Fables qui plaçait sa série à succès dans le domaine public : sans propriété exclusive, il n’y a pas de vol possible.

Questionner la notion d’originalité, et plus important encore, celle de l’appropriation, est donc tout à fait légitime. Si ce constat est trop difficile à faire pour beaucoup d’auteur⋅ices attaché⋅es à la « propriété intellectuelle », c’est sûrement parce qu’on mélange en permanence les questions que j’ai mentionnées avec le problème de la rémunération des artistes, en demandant au copyright – qui est avant tout un titre de propriété – de jouer le rôle de code du travail dans la création, alors que sa nature en fait essentiellement un outil de transfert de propriété des œuvres et d’organisation de la rente (au détriment des auteur⋅ices). Mais ça c’est un autre sujet…

Dépasser la situation actuelle, dans laquelle règne une grande précarité des auteur⋅ices et une mauvaise santé des éditions indépendantes, demanderait de changer de modèle économique et d’écosystème de la création, pour pouvoir y intégrer notamment les cycles vertueux de la création en licences libres. Mais devinez quoi… il y a des gens qui le font déjà : les éditions Copie Gauche, Des livres en communs (ex. Framabook), les éditions Abrüpt, la collection Ludomire. Même certaines maisons d’édition au modèle traditionnel se laissent parfois convaincre de publier des ouvrages en licences Creative Commons, comme ça a été le cas pour le recueil Bâtir aussi. (Et on pourrait citer aussi, bien avant ça, les œuvres du collectif Wu Ming…)

Un roman libre : des aspects pratiques

Mettre en place un cadre de création fictionnelle ouvert a toujours été une idée excitante pour moi. Pour faire ça bien, en plus de tout le travail d’écriture, il fallait également réfléchir aux différentes modalités des licences, pour en choisir une… ou deux. En effet j’ai opté pour deux licences libres différentes suivant la forme du contenu, que j’ai différencié comme ceci :

  • d’une part le roman dans sa forme littéraire, c’est à dire la forme la plus aboutie de mon travail constituée par le corps de texte, que j’ai placé sous licence libre Creative Commons BY-SA (permissions complètes accordées sur l’œuvre à la condition de redistribuer avec la même licence et de citer l’auteur)
  • d’autre part les matériaux. Il s’agit de la synthèse des idées qui servent à ce roman : synopsis détaillé, fiches de personnages, schémas temporel, etc. Pour ces documents j’ai choisi la licence la plus ouverte possible, la CC0 (équivalent du domaine public), qui permet de détacher mes idées de mon nom d’auteur et éviter une forme d’appropriation.

Faire ce double choix, après mûres réflexions, m’a permis de trancher des débats qui se tiennent depuis longtemps (et qui m’ont parfois empêché de dormir lol). J’espère que ça pourra aussi contribuer d’une façon ou d’une autre à propager l’envie d’un autre modèle de création et de diffusion de l’écriture.

Lire le résultat

Mon travail, qu’on peut qualifier de roman-feuilleton, s’appelle Trois écoles, il fait à ce jour un peu plus de 440 000 caractères – l’équivalent de 220 pages au format livre, et je suis toujours en train de travailler sur la deuxième partie à venir (dont le prochain chapitre sera une fiction interactive… ).

Vous pouvez lire tout ça gratuitement à l’une de ces deux adresses :

BONNE LE🄯TURE !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *