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Ma participation au Concours de fiction interactive francophone 2024 (classée 4e)
J’ai toujours été fasciné par le principe des histoires interactives, dans lesquelles on peut choisir de lire un passage plutôt qu’un autre pour avoir accès à des développements différents du récit.
Aujourd’hui, avec l’importance prise par les jeux-vidéos, les sites web, et les applis « gamifiées », on pourrait croire que cette interactivité est déjà présente partout dans les contenus multimédias que nous consommons avidemment. Pourtant le principe de fiction interactive littéraire, écrite, repose sur un procédé ancien un peu différent des autres formes de divertissement basées plutôt sur les effets visuels. Ce constat n’est absolument pas ici un prétexte pour faire une hiérarchie des formes de narration ou de jeux. C’est juste pour moi l’occasion de rappeler qu’il y a une magie particulière dans l’usage des mots seuls, et que cette capacité d’illusion et d’émerveillement, dans notre culture baignée de visuel, n’est pas toujours aussi facile d’accès qu’un jeu vidéo classique ou qu’une série. Mais comme pour la lecture d’une nouvelle ou d’un roman, lorsqu’on a la chance de tomber sur une œuvre qui parvient à nous emporter, on se rend compte que l’esprit n’a plus besoin de voir pour croire, et qu’il peut se projeter presque tout seul loin de la réalité immédiate.
C’est ce pouvoir-là de l’écrit qui m’a toujours fasciné, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres lecteur⋅ices dans le monde et à travers les époques. Dans le cadre de la création, l’avantage des mots est d’autant plus grand que pour créer quelque chose d’extraordinaire vous n’avez pas besoin d’un budget colossal pour construire des décors, ou réaliser des séquences 3D réalistes. Aligner quelques phrases bien choisies permet de créer une ambiance, et avec un choix proposé au moment le plus judicieux, vous pouvez même rajouter une dimension supplémentaire au sentiment d’immersion et d’aventure mis en scène par votre seule imagination d’auteur⋅e.
Par le passé j’ai timidement esquissé des tentatives, pas très abouties, de manipuler cette forme-là d’illusion. En 2022 j’avais utilisé le réseau social fédéré Mastodon pour recréer une narration à choix multiples inspirée des Livres Dont Vous Êtes le Héros. En publiant quelques messages se lisant comme de très courtes microfictions, j’avais d’abord disséminé les embranchements indépendamment, un par un, puis je les avais reliés par des chiffres aléatoire (Allez au 32, Allez au 70) avant de publier finalement un point de départ qui unifiait le tout, « L’histoire d’une découverte. » Le résultat, assez court, était probablement un peu frustrant pour les lecteur⋅ices qui s’attendent à retrouver une forme de récit classique tendant vers une fin de type résolution. Pour moi, à ce moment-là, l’envie était avant tout de relier des morceaux de narration un peu absurdes et d’en faire une aventure par sa structure, pas par la nature stimulante et progressive des évènements de l’histoire. Mais je gardais quand même en tête l’intention de faire un jour quelque chose de beaucoup plus long et de plus cohérent, en parvenant à ne pas perdre l’attention du lectorat en route.
Depuis l’époque lointaine des livres-jeux, j’avais très peu suivi le regain d’intérêt autour des fictions interactives en ligne dans les années 2010, celles composées de liens hypertextes cliquables, qui avaient succédées aux plus anciennes fictions interactives de type jeu de rôle (dans lesquelles il faut écrire soi-même les actions à entreprendre : « aller au Nord », « ouvrir la porte », etc.) Il faut dire que cette scène bouillonnante était surtout anglophone. Je lisais correctement l’anglais à l’époque, mais ce language, avec ses subtilités, n’a pas été pour moi un moyen efficace d’immersion.
Dix ans plus tard, après Twine et Inform, les moteurs disponibles pour créer des fictions interactives permettent de combiner différents éléments avec une plus grande liberté (images, boutons, sons), et une petite communauté francophone s’est même développée autour de ce genre, qui n’était encore chez nous qu’un minuscule niche au moment ou Twine et Ink gagnaient en popularité.
L’un de ces nouveaux moteurs de création est Moiki. C’est celui-ci que j’ai choisis pour tenter de développer une idée de récit « couloir » que j’avais eu après de premières tentatives très courtes. Au début de l’été 2023 je me suis attelé à la création d’une fiction interactive longue, avec l’envie de mêler des ambiances sonores à la narration écrite, ce qui est très facile à réaliser avec Moiki. J’ai même conçu plusieurs musiques, le reste étant mis à disposition gratuitement en licence libre libre par des inconnu⋅es sur le site freesound.org (il n’y a qu’à digger…).
En m’acharnant ensuite pendant des mois pour développer toutes les branches alternatives de mon récit, dont l’action centrale se tient dans un petit cinéma, j’ai finalement réussi à terminer quelque chose d’assez abouti pour être présenté en mars 2024, au concours francophone organisé par la communauté fiction-interactive.fr.
Début avril, après la période de vote et le tri des résultats, j’ai eu la surprise d’apparaître dans les cinq premières places du classement, quatrième plus exactement, sur 21 participations. Ma fiction interactive CINERIP , d’une durée de 30-45 mn, se lit comme une nouvelle immersive et se joue gratuitement dans un navigateur web, même sur téléphone. Elle est enrichie d’ambiances sonores et musicales, et je la diffuse sous licence libre CC BY , ce qui permettra de la reprendre ou de la modifier (source bientôt disponible sur un repo). Bien que la narration repose exclusivement sur l’écrit, j’ai également distillé quelques images pour accentuer l’ambiance générale, qui se déplace progressivement vers l’angoisse ou l’horreur, suivant vos choix (mais sans jump scare!). Des avertissements de contenu sont d’ailleurs disponibles sur la page et au lancement du jeu.
Suite à ce résultat encourageant au concours 2024, j’espère avoir le temps de développer un jour un prochain synopsis pour une nouvelle fiction interactive. J’ai toujours dans un coin plusieurs idées de récits à construire, dans des genres différents, mais je recherche aussi pour chacune d’entre elle le moteur de création qui me permettra de tirer le meilleur parti de l’histoire. Je ne suis pas sûr de réutiliser Moiki pour une autre fiction longue. Ça convenait parfaitement au rythme que j’avais en tête pour le déroulement de CINERIP, mais il y a encore quelques petites limitations et j’aimerais explorer d’autres format de lecture interactive. J’avais commencé pour cela à tester Narrat, ainsi que Decker, mais je n’ai encore aucune idée de ce que sera mon prochain choix de moteur de création. Ni de quelle histoire je vais choisir dans toutes mes notes, avant de me lancer à nouveau dans de longs mois de création.
En attendant, bonne lecture interactive !